Quelque contes super ronronnants
Chat
Pourquoi les démocrates n'aiment pas les chats, il est facile de le deviner. Le chat est beau; il révèle des idées de luxe, de propreté, de volupté, ect.
Charles Baudelaire, fusées
La sagesse des chat
Il y a très, très longtemps, en des temps si anciens que même les plus anciennes roches n’en conservent aucune trace, le Créateur de toutes choses convoqua les différentes catégories d’esprits qu’il destinait au peuplement de la planète Terre. A chaque groupe, il demanda de formuler un souhait majeur, afin de procéder à une équitable répartition des espèces.
Les clans se concentrèrent longuement. Le temps que naissent et meurent un bon milliard d’étoiles, puis chacun exprima son point de vue, donnant libre cours à ses ambitions et à ses rêves.
- Nous voulons l’omniprésence et l’invisibilité, dirent les premiers.
Ainsi naquirent les bactéries, microbes et autres virus.
- Nous, nous voulons la fortune !
Telle fut l’origine de l’huître perlière.
- Nous, ce qui nous intéresse, c’est l’empire du monde.
Le créateur engendra aussitôt les vers et toute la grouillante population souterraine auxquels les autres espèces finiraient inexorablement par céder leurs dépouilles.
- Nous, nous ne demanderons que la patience.
L’araignée vit le jour.
Certains réclamèrent l’éloquence, ils devinrent perroquets.
D’autres la haute finance : le créateur remplit les océans de requins.
D’autres encore, qui avaient un esprit social particulièrement développé, prièrent qu'on leur accordât une parfaite égalité. Ils furent moutons.
Certains demandèrent des talents de géomètres et d’arpenteurs. le créateurs. Le créateur les fit chameaux, avec la bosse des maths en prime, ce qui leur permettraient de mesurer précisément toutes les étendues désertiques du globe.
Il y en avait de plus poètes.
- Nous, nous voulons colporter les messages de la brise et apprendre l’alphabet des fleurs.
Ainsi se répandirent les papillons.
- Nous, nous voulons être les éternels fiancés amoureux éplorés de la lune.
Le créateur engendra le loup ;
Quelques esprits originaux et sans doute un peu fous affirmèrent :
- Notre rêve à nous, c’est l’Académie française.
Dieu créa les dindons.
Des esprits singulièrement bruyants et agités se dressèrent pour réclamer d’un ton quelque peu supérieur un quotient intellectuel exceptionnellement brillant et performant.
Malgré l’incongruité d’une telle requête, le Créateur, toujours complaisant, frotta un peu son immense œil unique et enfanta les hommes.
Restait, un peu à l’écart, un petit clan étrangement silencieux.
- Eh vous, que souhaitez-vous ? parlez sans crainte.
La réponse vint, dans un murmure soyeux :
- La sagesse, ô Seigneur.
Ainsi apparurent les chats.
Julia Deuley, contes éditions France Loisir
Les neuf vies du chat
Un vieux matou, mathématicien émérite mais fort distrait et incroyablement paresseux, somnolait à l’entrée d’un temple. De temps à autre, il entrouvrait un œil pour compter les mouches du voisinage et replongeait presque aussitôt dans sa douce léthargie.
Shiva vint à passer par là. Emerveillé par la grâce naturelle, toute féline, que l’animal avait conservée, malgré un embonpoint considérable dû à son oisiveté, le Seigneur des Mondes lui demanda :
- Qui es-tu et que sais-tu faire ?
L’autre, sans même entrebâiller ses paupières, marmonna :
- Je suis un vieux chat très savant, et je sais parfaitement compter.
- Magnifique ! Et jusqu’où peux-tu compter ?
- Mais voyons, je peux compter jusqu’à l’infini !
- Dans ce cas, fais moi plaisir. Compte pour moi, l’ami, compte…
Le chat s’étira, bâilla profondément, puis, avec une petite moue de dédain amusée, se mit à réciter :
- Un…deux…trois…quatre…
Chaque chiffre était prononcé d’une voix plus murmurante et vague. A sept, le chat était à moitié endormi. A neuf, il ronflait carrément, abîmé dans un sommeil béat.
- Puisque tu sais seulement compter jusqu’à neuf, décréta le grand Shiva, souverain des sphères, je t’accorde neuf vies.
C’est ainsi que les chats disposèrent de neuf existences.
Mais Shiva, qui était aussi un subtil philosophe, médita longuement. Le matou lui avait assuré qu’il pouvait compter jusqu’à l’infini. Certes, il s’était arrêté au chiffre neuf, puis s’était endormi. Or le sommeil, sans nom, sans forme, sans pensée, n’est-il pas une fidèle préfiguration de l’infini ?
Alors Shiva compléta son décret : au bout de ses neuf vies le chat accéderait directement à la félicité suprême.
Julia Deuley, contes éditions France Loisirs